Faites comme chez vous

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c'est recevant !

mardi 27 août 2013

Les portes closes - Lori Saint-Martin

Les portes closes s’ouvrent sur les secrets d’un couple, Philippe et Catherine. Philippe est le personnage vedette du couple, peintre renommé et indépendant de fortune. Catherine, peintre elle aussi, se fait discrète. Ses toiles représentent des natures mortes, celles de Philippe éclatent de vie, de celles de femmes radieuses de beauté. Ses modèles, il en tire le meilleur, capture leur âme, les consomme, puis les jettent. Il leur indique la porte et elles ne reviennent pas.

Catherine a donné la vie en mettant au monde trois filles et a payé le prix de ce choix. Philippe n’en désirant pas vraiment (peut-être parce qu’il crée la vie en passant par ses tableaux), c’est Catherine qui en a principalement assuré la responsabilité. Elle a dû retrancher plusieurs heures de sa création pour les élever et accomplir les tâches ménagères, dont la préparation des repas, dont elle s’occupe encore, même les enfants partis.

Lori Saint-Martin nous ouvre les portes closes de chacun des ateliers d’artiste, celui de Philippe qui reçoit ses modèles et celui de Catherine, dans lequel n’entre habituellement personne. Précisons un fait important, les deux ateliers sont sous le toit de leur spacieuse résidence.

À tour de chapitre, Philippe et Catherine se confient au mode « je », comme à un journal. Le lecteur arpentera ainsi trente-cinq années de vie d’un couple partageant le même toit, le même travail, les mêmes enfants. La juxtaposition de ces deux visions est une manière captivante de dévoiler, pelure par pelure, la vie d’un ménage qui a persisté malgré la proximité. Jusqu’où doit s’étendre le jardin secret de personnes vivant si près une de l’autre ? Ce roman aborde de près les limites de l’intimité dans un couple.

Le roman est mené d’une main de maître, un striptease lent et efficace du couple, aux yeux du lecteur uniquement ; si Philippe lisait ce que Catherine écrit, le couple éclaterait-il ? Même question du côté de Catherine. Pas de cette sensation de voyeurisme pour le lecteur, la progression maîtrisée nous laisse du temps pour voir et du silence pour réfléchir. Pour anticiper. Pour extrapoler.

L’auteure expose à notre esprit un certain tableau de couple, elle ne le commente pas, nous laisse la liberté de le faire. Je la prendrai, cette liberté. Ce couple a fait mal à mon sens de la justice sociale, avec ses airs de femme à l’ombre du grand homme, se tenant quasiment dans la position d'une mère monoparentale. L’art de Lori Saint-Martin est de ne pas mener son propos par ce bout là des choses, je le répète, elle n’entre pas dans la chambre du jugement. Et, pour cela, je salue le savoir-faire. J’aime cette latitude laissée au lecteur.

Je lui ai trouvé un style sobre, assuré et précis, bref, un style des plus efficaces.

J’ai déjà hâte de lire le deuxième.

dimanche 25 août 2013

Michel Rabagliati, Delaf & Dubuc sur une même tribune !

À l'écoute d'une question du public
Aux Correspondances d'Eastman, sur la même tribune, Michel Rabagliati, Delaf et Dubuc (Nombrils) ? Vous n’alliez toujours bien pas penser que Marsi et moi allions manquer cette chance inouïe ! Je dis inouïe car, il est possible qu’ils partagent de nouveau une estrade pendant un Salon du livre, mais cela risque d’être fort différent. La détente qui régnait en ce dimanche midi était exceptionnelle. Se diriger vers le grand chapiteau et voir Delaf et Dubuc à l'entrée, en conversation, aller les rejoindre, prendre dix minutes pour converser de tout et de BD. L’effet de l’oxygène, l’odeur du bois, l’intimité procurée par l’arc des arbres penché au-dessus de nous fait que ce ne sont plus des renoms qui entrent sous le chapiteau mais des prénoms : Marc et Maryse.

Michel Rabagliati - Tout sourire
Michel Rabagliati 
Michel n’a pu profiter des bienfaits de cette détente pré-causerie puisqu’il est arrivé sur les chapeaux de roue. Dominic Tardif, l’animateur et le duo étaient déjà installés sur l’estrade. Après une brève présentation, la première question tombe, elle est pour Michel qui n’a pas eu le temps de reprendre son souffle : « Comment trouvez-vous le travail de vos collègues ? ». Rarement, j’ai vu Michel patiner, cet homme sait toujours quoi dire, mais cette fois, visiblement pas tout à fait arrivé, il resta vague. Par contre, tout au long de la causerie, il s’est repris, revenant sur le travail de ses collègues, identifiant leurs forces. Michel Rabagliati est un généreux, je le sais depuis longtemps.

Il a bien sûr été question du film qui doit être tiré de Paul à Québec, plusieurs versions ont déjà été soumises (Michel participe au scénario) mais étonnamment, ce n’est pas encore conclu d’une manière définitive. Autre surprise pour moi, la quantité d’esquisses que Michel sort avant de prendre la plume (feutre) finale. Je savais qu’il y en avait mais pas autant. L’animateur a soulevé l’audace des plans « pleines pages » qui surgissent dans les Paul, j’en profite pour dire que j’adore cette technique qui laisse filer de longs soupirs où le silence s’infiltre, donnant au temps une place dans l’histoire. Pour moi, Michel est un maître du temps, il joue avec le passé et pour lui, le « Je me souviens » n’est pas qu’une devise proposée par Lyse Payette lorsqu'elle était ministre du transport.

Paul est son alter égo, ce que Michel nous a démontré au moment où il s’est élevé contre le diktat de la supra performance informatique, s’emballant quelque peu (c’était plutôt rigolo !) et terminant sa tirade enflammée par un « Paul, c’est un nerveux ... moi aussi ! » 

Un couple regardant dans la même direction
Delaf et Dubuc
Quand on parle de Delaf et Dubuc, on pense immédiatement succès à l’étranger. Être édités dans le réputé Journal Spirou et chez Dupuis, une maison d’édition française n’est pas chose si courante pour des Québécois. Ils ont fait allusion à leurs débuts où, peu sûr d’eux, ils ont avancé ce trio de personnages féminins, formule gagnante dans leur esprit pour un périodique mais pas nécessairement pour un album, encore moins, plusieurs. Mais quand le succès te harponne, tu t’adaptes ou tu manques le bateau. Parce que célèbres, ils le sont avec plus d’un million d’exemplaires vendus, une rue à leurs noms à Bruxelles, des produits dérivés, des fonds d’écran, un fan-club, alouette !

Comme on ne prédit pas un succès d’une telle envergure, en cours de route, ils ont dû changer le caractère de leur victime, Karine. Des caractères aussi typés ne laissent pas la latitude suffisante pour une histoire qui s’allonge sur six tomes.

Marc Delafontaine (Delaf) - au dessin
Ils ne sont pas du genre à s’assoir pas sur leurs lauriers, à chaque fois qu’ils font un changement, même après en avoir discuté avec l’éditeur, ils appréhendent la réaction des fans. En ce dimanche ensoleillé, ils nous ont transmis jusqu’à quel point le succès rend vulnérables. Avant la sortie en librairie, ils éprouvent le trac : est-ce que les changements vont passer ? Pour donner un exemple, la convention veut que les vêtements soient toujours les mêmes, alors le changement radical de style de Karine se range dans les gros changements en bande dessinée.
Maryse Dubuc (Dubuc) - au scénario

Autre élément amenant des discussions nourris dans le couple, et ensuite avec l’éditeur, c'est l’équilibre à tenir entre les expressions françaises et québécoises.  Ils doivent souvent jongler avec les mots, ne pas en échapper, qu’ils soient compris des deux côtés de l’océan. Prenons l’exemple de nommer une institution d’enseignement, il n’y a pas de CEGEP en France, pas de polyvalente, il faut donc utiliser un mot neutre. École ? Ça fait un peu enfantin. Ce n’est qu’un exemple parmi d'autres. Pour les albums de Rabagliati, le problème se pose moins puisqu’il ne s’agit pas de gags. On le dit souvent, la comédie, cela doit être rythmée au quart de tour, si le lecteur accroche sur un mot, le rythme casse et adieu le rire !

Ce qui m’a le plus frappé de ce discours sur le succès est l'affirmation de Marc Delafontaine disant qu'il n’a plus de temps de dessiner autrement que pour Les Nombrils, même pas durant ses loisirs. Il est confiné à ce style qui ne montre pourtant qu’un angle de son art. Y a pas à dire, le succès a son prix.
Dominic Tardif
Comme d’habitude, je suis arrivé à vous relater qu’une petite partie de cette causerie palpitante. Elle a résonné dans les rires mais aussi donné lieu à de l'écoute très concentrée. Dominic Tardif a posé d’intelligentes questions, il avait son dossier bien en mains, sans que cela ne paraisse. Je lui accorde des étoiles pour l’art de l’animation, pour sa confiance de laisser une porte largement ouverte à l’improvisation !
Songeur






mardi 20 août 2013

À l'heure d'Eastman : Catherine Voyer-Léger et Caroline Allard

Aux Correspondances d'Eastman, après L’héritage de la parole suivait Le Monde à l’heure d’internet, en compagnie des « plus » que blogueuses : Catherine Voyer-Léger et Caroline Allard, dite mère indigne. Leur point commun pour se présenter sur cette tribune ? Toutes deux ont été éditées et que ce soit par la même maison d’édition n’est pas du hasard puisque Hamac-Carnet est un précurseur en la matière.

Qui pouvait animer ce duo mieux que Danièle Bombardier, une journaliste ne fréquentant pas la blogosphère ! J’ai aimé son entrée en matière, elle a avoué son ignorance. Sa sincère écoute, ouvrant grand son esprit, a servi nos blogueuses, puisqu’elles ont eu la chance d’être ramenées à l’essentiel : pourquoi consacrer autant d’énergie à bloguer ? 
Catherine Voyer-LégerPolitologue de formation
Le premier blogue de Catherine avait un propos intimiste, je m’en souviens, j’avais alors l’impression d’entrer par voie secrète dans une alcôve où l’on me chuchotait des confidences. Son actuel, Détails et dédales ratisse large, frappe sur les non-sens, les remets en question sur une place, de plus en plus publique. Catherine est lue, et comme ses dires sont tout sauf consensuels, elle a parfois chaud à préciser sa pensée nuancée. Le blogue est une chronique à deux sens, si on aime s’exprimer à sens unique, c’est à éviter absolument !

La publication d’un texte récent, dont elle ne renie aucunement le fond, mais peut-être expédié un peu à chaud, a fait du remous et des bouillons. Catherine est féministe, plusieurs lui diraient qu’elle a le message courageux. Ses aveux de samedi (quelle générosité dans les confidences !) le laisse croire : tenir un blogue n’est pas une voie facile, il faut des tripes et des convictions pour le faire. Ce n’est pas du mirage d’égo. Catherine aime la discussion et la suscite, avons-nous une pléthore de personnes qui le font au Québec, et qui plus est non rémunérée ? Je souhaite à cette voix de continuer encore longtemps à s’élever au-dessus de la mêlée.

Soit dit en passant, elle a étonné l’animatrice en avouant avoir quitté les blogues Voir en se posant cette question : ne prenait-elle pas la place d’une journaliste (c’était à l’époque des mises à pied massives) ?


Caroline Allard, dite mère indignePhilosophe de formation
La femme s’est dévoilée, aucune trace de mère indigne sur cette estrade. J’ai pu entrevoir le côté philosophe de cette femme calme, souriante, sérieuse, réfléchie.

Elle a démarré son blogue, en toute innocence, pour partager sa nouvelle vie de mère au foyer qui l'a prenait peut-être un peu par surprise. Pour laisser sortir la vapeur, elle s’est lancée dans les histoires abracadabrantes d’un quotidien saupoudré d’humour corsé et d’exagération piquante. Son blogue exutoire s’est vite transformé en réunion de mères se faisant un malin plaisir d'enrichir le concept. Il nous manquait un modèle de mère indigne au Québec, Caroline Allard a fait son entrée !

Caroline est une auteure de personnages, ce que l’assistance de samedi a pu comprendre. Un personnage qui hante ta vie 24 heures sur 24 peut facilement devenir un maître sans pitié. Surtout lorsque ce personnage, pour protéger la vie privée de son entourage, s’empresse de donner des personnages au mari, tôt ou tard devenant un Père indigne, ensuite une  « Fille indigne ». Il parait d’ailleurs que dans cette famille, c’est le père qui est drôle, alors tant pis s’il refuse de se mettre en scène, dit-elle avec un charmant sourire. Caroline Allard a un moment donné laissé tomber les rideaux de scène de son blogue, par épuisement. D’autant plus, qu’en généreuse dialoguiste, elle donnait la réplique à chaque commentateur. Quelle tâche gargantuesque ! Je suis surprise qu’elle n’ait pas ouvert, en parallèle, un blogue intitulé « L’indigne blogueuse » !

Son blogue est maintenant redémarré, mais la mère de « Mère indigne » a pris de la sagesse et ne laisse plus son personnage lui monter sur la tête. Fini ce temps où elle avait l’impression de vampiriser sa famille, à l’affut du moindre écart pour alimenter la machine.

Les personnages de Mère indigne ayant été achetés pour en faire une web-série à Radio-Canada, on ne parle pas d’histoires tristes ici. Pour Caroline, un autre décalage entre cette comédienne qui incarne son personnage de Mère Indigne et sa Mère Indigne, déjà un personnage.

Suite à cette causerie, je vois maintenant Caroline Allard en auteure, plus qu’en blogueuse (d’ailleurs, elle a écrit Universel Coiffure  et Pour en finir avec le sexe). En personne alerte et à l’esprit vif, elle puise dans le blogue sa matière à romance, sur Facebook ou dans la rue. Partout. Attention, partout.

Catherine et Caroline
Elles étaient si belles à voir, généreuses, touchantes, complices.

Caroline écoutant les confidences impudiques de Catherine, de celles qui exigent d’être là pour les cueillir (désolée !), avec une profondeur et une gravité qui m’a touchée. Catherine et son intelligence ouverte, son aisance, sa détente. N’essayant pas de convaincre, exposant seulement, afin que l’on parte de cette tribune, plus disposés à s’élancer, chacun en soi, dans l’exercice acrobatique de la réflexion. 

mercredi 14 août 2013

Mes Correspondances d’Eastman (1)

J’étais fébrile de découvrir le nouvel emplacement, un chapiteau non loin du Cabaret d’Eastman, ce monument fier et surtout, moderne, contraste frappant avec les années passées où le lieu était une ancienne grange, son silo, et sa terrasse, je parle du Théâtre La Marjolaine.

J’ai pu réaliser encore une fois que l’âme ne loge pas dans la matérialité. L’essence du partage dégageait toujours son odeur concentrée et sucrée. Je suis retombée en amour avec cette fête de la LETTRE.

Faut dire que mon premier Café littéraire a commencé fort ; « L’Héritage de la parole » avec Thomas Hellman, Évelyne de la Chenelière, Tristan Malavoy-Racine. Ce dernier posait les questions, et j'ai trouvé que son affinité avec ces auteurs était une réponse.

La beauté de cette causerie s’est vue par la complicité des trois auteurs, courant sur la même longueur d’ondes. On y a abordé la responsabilité du dire, sous plusieurs de ses formes. En parlant de forme, Évelyne de la Chenelière m’a jetée par terre pour son élocution juste et vive. Plusieurs n’arrivent pas à écrire aussi bien qu’elle parle. La clarté règne dans son esprit, elle apportait d’infimes nuances sur un plateau de mots, et ses acolytes s’en inspiraient pour aller plus loin. Justement, autre fait notable ; l’écoute. Nous voyons assez souvent dans ce genre de causerie une nervosité dominante, légitime bien sûr, on pense à l’impression que l’on fait, on s’inquiète si notre message est compris, mais ici, le calme et la confiance rayonnaient. J'en conclus que le message a dépassé les messagers, ce que j’apprécie toujours beaucoup. Ils ne pensaient plus à leur égo mais par-dessus tout à dire justement pour partager pleinement.

Malgré la profondeur des propos, l’assistance a pouffé de rire à quelques reprises, dont au moment où Thomas Hellman, papa d’un poupon de deux semaines, a affirmé le plus sérieusement du monde qu’il allait lui faire lire La Peste de Camus !

Un petit miracle s’est produit (il s’en produit souvent aux Correspondances mais celui-ci est de taille), l’assistance est partie avec l’envie de lire de la poésie. Ce qui veut dire s’essayer ou se réessayer, en lecture intime, autrement que par l'entendre chanter. Leur dévotion commune pour le poète, Roland Giguère, si authentique, si intense en aura fait ainsi.

Une dame du public a posé une question de détective à madame de la Chenelière : « Je vois un post-it inséré dans votre recueil de poèmes, pourriez-vous nous lire l’extrait qu'il indique ? » Ça tombait bien, c’était le premier poème lu dans une bouquinerie », elle se rappelait à son émotion de tomber des nues devant l’effet procuré par ce poète qu'elle découvrait. Moment magique que ce murmure admiratif se levant de l’assistance après la lecture.

Je retiens également, c’est fou, parce que si simple, que les grands lecteurs de poésie en lisent très peu à la fois, jusqu'à un seul. Moi qui les imaginais boulimiques, dévorant à grosses lapées gourmandes un livre de poésie. Je vais mettre en pratique cette approche à petites doses, et peut-être vais-je mieux apprécier.

Sur le mode involontaire, seulement par sa flamme, Évelyne de la Chenelière a rendu un bel hommage à Marie Cardinal. Elle m’a fait regretter de ne pas avoir lu L’Inédit de Marie Cardinal, ces carnets intimes fouillées par ses filles Alice et Bénédicte Ronfard, et par l’éditeur Annika Parance. Que Thomas Hellman ait abordé la poésie de Giguère par le folk m’intrigue également, assez pour être tentée, surtout que c’est un livre-disque.

Suite dans les prochains jours pour vous transmettre mes impressions sur Bla-Bla Blogue : Le monde à l’heure d’internet avec Catherine Voyer-Léger et Caroline Allard. Animation : Danièle Bombardier

Ont également assisté à ce Café, Lucie qui nous en parle sur son Clavier bien tempéré et Topinambule qui nous annonce sa deuxième visite aux Correspondances.

mercredi 7 août 2013

Rencontre annuelle

Au centre, Lucie, tentant de s'installer (photo en différé) !
Nous nous rencontrons une fois par année, pourtant, nous travaillons ensemble 365 jours. Nous sommes officiellement 18, mais activement, comptons plutôt 15. Deux personnes n’écrivent pas, ou plus, les autres, rédigent à tous les mois, ou non. Il y a une chef, la rédactrice, elle s’appelle Lucie Renaud. Certains l’auront deviné, je parle de La Recrue du mois qui avance vers sa septième année d’existence. Pour un blogue, c’est déjà beaucoup, pour un blogue collectif, c’est énorme. Et j’ajouterai que pour un blogue misant sur les premières œuvres de la littérature québécoise, c’est un exploit !

Ce dernier samedi soir, nous étions assis en cercle dans une cour de Notre-Dame de Grâce. Tous avaient l’air heureux d’être là, en tous cas, les visages exhibaient des sourires et des yeux pétillants. Les lecteurs qui s’ouvrent aux auteurs pas encore reconnus ont des points en commun si je me fie aux rencontres, même les premières fois, le courant passe.

J’y ai vu trois nouveaux visages cette année car une rotation des effectifs est nécessaire. Pas uniquement pour offrir des visions neuves, mais aussi pour arriver à sortir un numéro mensuel bien fourni. Sortir un webzine à chaque quinze du mois entraine une somme de travail et de discipline non négligeable. Ce travail et cette discipline s’exigent quand il y a un chèque au bout, mais à un titre complètement bénévole, cela se gère différemment. Lucie Renaud, la rédactrice en chef, a vite compris que sa flotte de journalistes citoyens a une vie à gagner en dehors de sa participation à La Recrue. Dévotion s’accordant mal avec obligation, elle prend donc l’option d’avoir assez de rédacteurs sous la main pour laisser flotter un sentiment de libre choix, conservant à cette activité du plaisir.

Et ça marche !

Je peux en témoigner. J’y participe depuis les débuts et dans un moment de lassitude et de débordement, j’ai passé à un poil de chat de donner ma démission. Je me suis laissé convaincre par Lucie de laisser mon nom en réserve quelques mois. Les nombreux courriels organisationnels qu’exige la préparation d’un numéro de magazine, tout virtuel soit-il, continuaient à me passer sous les yeux. Au fil des numéros, à voir l’enthousiasme de chacun, une impulsion intérieure a fini par poindre. Et je suis redevenue active.

Nous ne sommes pas une équipe zélée plutôt ailée. Il faut des ailes pour échanger sans se voir le bout du nez. Les séances de votes pour élire les titres Recrue du mois se font par tableaux « Doodle », voilà un point de réglé mais c’est loin d’être tout. Avec nos rubriques poésie, deuxième roman, livre jeunesse, littérature hors-Québec, sans encore avoir touché la présentation, le questionnaire et la revue de presse de l’auteur en vedette Recrue du mois, ça ne manque pas d’action. Il y a du trafic quelques jours avant le 15 ! C’est sans parler des planifications usuelles, par exemple la distribution des quelques exemplaires de presse, les envois de textes à la correction (Lucie), ensuite à la mise en ligne (Maxime). C’est Lucie Renaud, la responsable des contacts avec les maisons d’édition. Comme dans tout magazine qui se respecte, vous avez le mot de rédactrice donnant une idée générale du numéro, un apéritif quoi ! Nous tentons également de tenir à jour un répertoire des titres de premiers romans qui sortent au Québec.

Et c’est sans avoir encore parlé, j'ose le mot, de marketing. Le webzine La Recrue du mois est un produit et comme tout produit, il faut l’annoncer. Ce n’est pas en lisant et commentant sur notre île que nous allons servir la littérature. Sur la Toile, on tisse des liens ou on n'est rien ! La Recrue du mois désire mettre de plus en plus d’énergie à sa promotion. Cette tache demande effort, énergie et constance. Christine nourrit généreusement la page Facebook et Marie-Claire, le compte Twitter, ce qui n’enlève en rien la responsabilité de chacun, surtout ceux qui tiennent un blogue (presque tous), de promouvoir notre webzine.

"C’est beau tout ce bénévolat et cet amour de la lecture", me suis-je dit après cette rencontre, suivie d'un souper collectif, tout en n’en revenant pas que nous nous reverrons l’an prochain seulement. Et pas tous ! Nos deux rédacteurs résidant en France, Caroline et Philippe les (re)verrons-nous un jour ? Parce que, oui, nous avons deux rédacteurs Français (sourire).

Mais je n’ai pas encore parlé du plus important : vous !
Nous lisez-vous ?

Le webzine La Recrue du mois




vendredi 2 août 2013

Si tu passes la rivière de Geneviève Damas

J’ai lu cette histoire voici bientôt deux mois et elle crépite encore dans ma tête. L’émotion est restée vive, comme si je l’avais lue hier. Je dis lue, je pourrais dire vue. Elle est facile à voir sous la plume de Geneviève Damas.

Avec le titre et la couverture, je m’attendais à une histoire tendre et calmement poétique. Oh, que j’étais loin du compte ! L’histoire est densément dramatique. S’il y a poésie, elle est contenue dans la tête candide de François.

La famille dans laquelle vit François habite creux, mais elle ne serait pas loin du village, qu’elle n’en serait pas pour autant près des gens. Sa famille est retirée du monde et a des contacts avec l’extérieur que pour vendre les cochons qu’ils élèvent. Uniquement du mâle dans cette maison depuis que la sœur ainée a traversé la rivière. Pour François, cette rivière est la frontière infranchissable – tout le danger viendrait de là - entre sa vie soumise à la férule du patriarche et la libération de son emprise. C’est aussi l’ouverture qui a happé sa sœur qu’il considérait comme sa mère.

Il est cerné par la rivière mais encore plus par la rudesse, la violence même, de trois malotrus ; son père et ses deux frères. Il règne un silence nauséabond dans cette maison, certainement plus que dans la porcherie dans laquelle le garçon travaille. François a cela de différent qu’il aime parler, et comme il n’a personne à qui confier ses pensées primaires (certains le traiteraient d’arriéré mental), il se confie à un cochon. Il en choisit un et nourrit une relation étroite avec lui. C’est tout à fait crédible et nous n’avons aucune envie de rire, je vous assure. J’y vais à pas prudents pour ne pas trop dévoiler de cette délicieuse intrigue, mais vous saurez que François trouvera une autre personne à qui parler. J’y repense, il n’y a pas de mal à le dévoiler ... c’est à un prêtre.

J’ai tout aimé de ce roman, les défauts ont fini par se confondre aux qualités, tellement j’ai pris du plaisir à entendre la voix de François. Rien n’est expliqué, tout est démontré, vu et vécu. Le lecteur a de la place pour pondre sa propre histoire sous les mots. Personnellement, j’ai même déduit qu’une relation d’amour, qu’elle soit avec un chien, un humain ou un cochon ouvre les digues de la compréhension. C’est un pied de nez à l’intelligence intellectuelle qui serait le seul passe-partout pour ouvrir la porte de la connaissance, ou conscience.

C’est le talent magique de Geneviève Damas d’avoir rendu crédible ce jeune homme peu développé, ayant grandi dans le silence et la mesquinerie, qui se réveille progressivement, la chenille devenant papillon. Tout passe par croire ou ne pas croire à cette voix candide. J’y ai cru à fond, alors à moi le plaisir de cheminer avec cet être qui nous ramène à la source, comme les enfants savent si bien le faire.