Faites comme chez vous

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c'est recevant !

mercredi 29 janvier 2014

VRAC qui roule n'amasse pas mousse

CLIQUEZ POUR AGRANDIR
J’avais pourtant le communiqué de presse depuis une couple de jours, ce n’est qu’aujourd’hui que je m’arrête pour souligner le Prix des libraires, mon prix préféré entre tous les Prix littéraires.  Le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ)  a d’ailleurs bonifié le prix qui s’élève maintenant à 5,000 $.  Grand bien nous fasse, car les prix à la consommation montent, eux !
  • La classe de madame Valérie, François Blais (L’Instant même)
  • Pomme S, Éric Plamondon (Le Quartanier)
  • Le sort de Bonté III, Alain Poissant (Sémaphore)
  • L’orangeraie, Larry Tremblay (Alto)
          • Les sangs, Audrée Wilhelmy (Leméac)
Sur les douze titres, deux ont été écartés que j’avais lus et aimés : Les portes closes de Lori St-Martin et Le mur mitoyen de Catherine Leroux.
Je n’ai lu aucun des cinq en lice !!! (pas de pif ou pas de chance cette année).
J’en ai un entre les mains : Le sort de Bonté III, que je me propose de le lire
J’aimerais lire les quatre autres, mais comme ce n’est pas raisonnable, je vais opter pour Pomme S (lequel va gagner, selon moi) et Les sangs d'Audrey Wilhelmy, lequel m’intrigue grandement. 

En attendant ce 12 mai au Lion d'Or, place au vote ! L’an dernier, ce sont plus de 220 libraires qui y ont participé : Libraires indépendantes du Québec, coopératives en milieu scolaire, Groupe Archambault, Groupe Indigo et Groupe Renaud-Bray.

Concours pour VOUS, lecteurs : plus de 2 000 $ à gagner

Entre le 11 février et le 12 mai 2014, achetez un des dix livres finalistes en librairie et courez la chance de gagner un de ces prix :
  • 1 carte-cadeau de 500 $ dans une librairie participante et les 10 livres finalistes
  • 1 carte-cadeau de 300 $ dans une librairie participante et les 10 livres finalistes
  • les 24 titres de liste préliminaire
  • les 10 livres finalistes ou les 2 livres lauréats.

Résidence d’écrivain à Détroit
Ce programme est ouvert aux écrivains du monde entier qui accepteraient de s'installer à Detroit pour au moins deux ans. "N'importe quel écrivain recherchant une nouvelle maison et une nouvelle inspiration peut candidater"
Idée assez originale que voilà pour les écrivains qui n’ont pas peur du dépaysement. On se dirait, non pas dans une autre ville mais un autre univers. J’avoue que ça peut être inspirant et certainement ultra-économique, ce que vous constaterez en lisant l’article. Autre point non négligeable, j’ai l’impression qu’en se coupant un peu de la civilisation, ça t’oblige à plancher sur ton œuvre. Les distractions sont moins abondantes, donc moins de tentations à fuir les petites pannes d’inspirations normales.

Rien ne s’invente, tout se filme
Il y en a un char pis une barge des livres dont on tire les films, tellement qu’on se demande si les scénaristes ne manqueraient pas d’inspiration. Mais l’idée ici, à mon avis, est de lire avant de voir car la majorité du temps, la source originale de l’œuvre, le livre est meilleur que le film.

Prenez des notes, La librairie Monet nous a dressé une liste de tous les livres tirés de film pour 2014 et même un peu au-delà.

vendredi 17 janvier 2014

Le mur mitoyen de Catherine Leroux

J’en ai entendu tellement de bien ; la blogosphère exulte devant ce titre. Dangereux. Pour moi, en tout cas. La découvreuse de trésors que j'aime être, mise sur la glace, j’ai entamé ma lecture.

Mon intérêt a démarré lentement, presque laborieusement. Plusieurs histoires et entre elles, je percevais un mur, et pas vraiment mitoyen. J’ai tout d’abord eu l’impression de lire des nouvelles, et les nouvelles et moi, c’est deux, avec ma tendance à m’égarer. Faut dire aussi que j’aimais tellement Madeleine, voulais toujours revenir à elle, ma préférée. Je tentais de toucher à son mystère. Ses relations le sont aussi, mystérieuses. Il y a celle avec son fils, Édouard, si indépendant qu’il semble se balancer complètement de sa mère et Madeleine, si indépendante dans sa relation amoureuse avec son voisin, qu’elle semble s’en balancer complètement. S’ajoutent deux satellites : la blonde d’Édouard et une visiteuse, une aidante naturelle sans lien de sang.

Ma deuxième favorite est l’histoire du politicien et de sa femme, un couple en symbiose, rarissime dans la romance moderne, surtout dans le cas de relations durables. La fusion n’est pas à la mode, on peut s’aimer un et l’autre passionnément, en autant que l’on reste convaincu que l’on peut vivre sans l’autre. Tellement de surprises attendent le lecteur dans cette histoire hors du commun !

Simon et Carmen, face à leur mère à l’agonie, m’ont laissé sur mon quant-à-soi. J’aurais aimé connaître cette mère dans la fleur de l’âge, elle semblait tout un numéro, tandis que les enfants, par contraste, m’apparaissaient banals. L’histoire des deux petites filles est celle qui m’a le plus égarée, j’avais à chaque fois de la difficulté à me remettre dans cette ambiance où je sentais une menace planer.

Autrement dit, il y a assez de substance dans les deux premières histoires pour les développer en un roman complet et passionnant, tandis que les deux autres peuvent se contenter d’être d'excellentes nouvelles.

Ceci dit, les perspectives et les angles inusités, s’articulant discrètement derrière les personnages nourrissent grassement le roman, et plus l’intrigue se développe, plus on en aperçoit la trame.

Le style de Catherine Leroux attache solidement le tout, dégageant un rare naturel dans autant d’assurance, jusqu'à pouvoir parler de style serein. Si jamais j’apprenais que l’auteure est rongée de doute en écrivant, je serais étonnée. On peut conclure qu’elle possède royalement l’art de s’effacer derrière ses histoires et ses personnages.

Un roman respirant l’incongruité, à mille lieux des clichés, mené par une auteur qui sait où elle s’en va et si, à certains moments, le lecteur perd momentanément son chemin, lorsque qu’il le retrouve, c’est l’allégresse.

mercredi 15 janvier 2014

Le goût, une histoire d'égo - (Fleurs au Fusil)

Un égo se ramène souvent à une question de goût. Un égo a tel goût, l'autre égo a un goût différent. Quel égo est le mieux, lequel a le plus raison, lequel a le meilleur des goûts ?

Quand je participe au webzine La Recrue pour un repêchage, ça va, je ne suis pas directement confrontée. Je suis sur mon île et mon île m'envoie pour écho, ma voix. Quand je participe à la chronique "Recrue du mois", où nous sommes au moins quatre à commenter le même livre, c'est différent. On ne se consulte pas avant la sortie de nos commentaires, on apprend donc l'avis de l'autre égo, le 15 du mois. Aujourd'hui.

Pour Fleurs au fusil, nous étions quatre. Deux égos ont beaucoup aimé, deux autres ont peu aimé. Je suis dans cette dernière catégorie avec Marie-Jeanne Leduc. J'ai lu les avis de Lucie Renaud et Maud Lemieux, et j'ai été troublée. Elles avaient certes lu le même roman que moi, mais avaient vécu des émotions tellement différentes. Ça m'avait déjà frappé mais ça m'a frappée plus que jamais. Ça te ramène à l'essentiel. Tu n'es qu'un goût, un égo qui s'adresse à d'autres égos. Ma participation régulière à La Recrue me permet de ne jamais l'oublier.

Fleurs au fusil - Marjolaine Deschênes

L’histoire de Viviane Videloup se découpe en épisodes. Le premier tourne autour de sa relation avec le père qu’elle s’est choisi : Louis Leloup. Par contre, c’est la relation avec son père de sang, Janvier, qui l’a marquée pour la vie. Ce père rustre, perdant la tête quand il boit, pourchassant alors femme et enfants avec une carabine, a un dada : empailler des animaux pour leur donner une vie artificielle. Cette activité obsessive de son père a frappé l’imaginaire de la fillette et amène la femme de maintenant 36 ans à remettre en question le romantisme, auquel elle reproche de donner l’apparence du vivant aux morts.

Le deuxième épisode se déroule en compagnie de Laurent, un ami qu’elle va retrouver en Belgique durant sa sabbatique. Ensuite, viendra l’épisode de Fleure, une amie d’enfance providentiellement retrouvée à Bruxelles. Ces deux relations ont su capter mon intérêt, et en ce sens-là, j’aurais aimé qu’elles soient fouillées plus avant.

Année sabbatique rime avec bilan. Tout est prétexte à voir filer sa vie dans le rétroviseur : maternité, absences, départs, brisures, chocs, accidents. L’homme n’occupe pas la belle part ; les bons disparaissent ou veulent disparaitre (père d’adoption, père de sa fille, frère) mais les monstres perdurent. Dans un tel contexte, la femme est facile à porter aux nues, mais sans trace de romantisme, tient à préciser Viviane. La relation avec sa fille est idyllique; ce sont vraiment les hommes qui écorchent le cœur et le corps des femmes.

J’ai été dérangée par la violence insolente des pères et l’image traîtresse des hommes, probablement parce que l’auteure ne la creuse pas, elle l’expose, point. Ma lecture a manqué de fluidité, le roman s’entrecoupant de relations effleurées, que j’oubliais aussi vite que l’auteure les mettait de côté. L’épilogue de 17 pages, se présentant en 5 chapitres, m’a donné l’impression d’un sac dans lequel on empile les conclusions.

J’ai relu le roman et dois admettre que j’ai mieux apprécié ma deuxième lecture que la première. Qui sait, si une troisième ….

jeudi 9 janvier 2014

TOP 10 de mes lectures 2013

1. La fille qui n’existait pas de Denis Thériault
C’est mon coup de cœur, j’ai dû me lever en pleine nuit pour le terminer. Je suis encore sans mot. J’ai le trac, je me demande comment communiquer ce que j’ai ressenti en vivant cette histoire «  à la poupée russe » où les couches soulevées une à une dévoilent une réalité autre que celle que je croyais. L’intrigue repose sur des clés, ouvrant des portes, qui elles ouvrent d’autres portes. Le commentaire suivant vient d’une personne qui a moins aimé. Malgré tout, voyez les qualités que Danielle Morissette lui trouve : Je salue cependant l’imaginaire qui a généré tout ça. La tendresse et l’ingénuité qui persiste malgré et au delà de l’horreur et de l’invivable. La beauté de la langue et le secret bien gardé. - critique complète ici.

2. Le frère du trapéziste de Denis Robitaille
Ce roman a tout pour me plaire : foisonnant, des rebondissements surprenants avec un thème que je privilégie : le jeu des apparences. Je n’ai pas su pressentir, prévoir ou deviner. L'auteur m'a pris en otage.
J’aime ce genre de roman qui bouge, par l’action physique et psychologique, tout en conservant une aura de mystère. Cette histoire dépasse le lecteur pour la bonne raison que le personnage principal est lui-même dépassé par ses actions et décisions. Cela fait penser à la vraie vie. C’est un roman mettant en relief de nombreux contrastes: la stabilité versus la sédentarité, l’enracinement, l’errance. L’amusement ou le sens du devoir. L’idéalisation de l’être aimé. Être soi pour soi, ou pour répondre à ce que l’autre attend de soi. Le pouvoir des racines dans une quête d’identité. Et finalement, ce thème si cher à plus d’un auteur, le jeu des apparences. - critique complète ici.

3. Si tu passes la rivière de Geneviève Damas
Ce roman m’a émue, bouleversée. Il est venu me chercher au plus profond de mes valeurs.
J’ai tout aimé de ce roman, les défauts ont fini par se confondre aux qualités, tellement j’ai pris du plaisir à entendre la voix de François. Rien n’est expliqué, tout est démontré, vu et vécu. Le lecteur a de la place pour pondre sa propre histoire sous les mots. J’en suis même arriver à déduire qu’une relation d’amour, qu’elle soit avec un chien, un humain ou un cochon ouvre les digues d’une compréhension, autant que n’importe quel discours étoffé de connaissances. - critique complète ici.

4. L’enfant qui savait parler la langue des chiens de Joanna Gruda
J’ai été un enfant qui change de foyers à répétition, parce sa mère veut le protéger. Comment une mère peut protéger son enfant avec un instinct maternel défaillant ? Cette histoire basée sur la réalité est relatée par la petite-fille d’une manière juste, judicieuse et intelligente.
La trame repose sur un garçon obligé de fuir l’ennemi en changeant de famille à répétition. Son itinéraire est supervisé par une mère à l’instinct maternel défaillant, c’est déjà une intrigue en or. Sans la voix que Joanna Gruda a su donner à l’enfant, cela aurait pu être une suite d’événements émotifs et bien documentés mais cette voix, qui passe progressivement de 6 à 14 ans, revêt une subtilité à ce point tangible, que j’étais cet enfant. - critique complète ici.

5. La fiancée Américaine d’Éric Dupont
Parce que c’est rare un tel souffle de conteur. Parce que j’aime que l’on me raconte plusieurs histoires dans une, jusqu’à ce que je ne sache plus démêler la part d’imaginaire et de réalité.
J’ai aimé ce roman feuillu et touffu. Dès les premières lignes, la force du conteur agit sur le lecteur qui s’ouvre comme un enfant prêt à tout voir et à tout croire. L’auteur nous fait vivre des liens familiaux complexes, les émotions qui s’y rattachent sont rouges foncées : jalousie, passion, violence, rivalité, favoritisme, sexualité, inceste, avortement. L’histoire nous envoie aux extrêmes : de la guerre à la paix, de la richesse à la pauvreté, de la religiosité à l’athéisme, de l’érudition à l’ignorance, de la campagne à la ville, de la force musculaire à celle de l’esprit. - critique complète ici.

6. Man de Kim Thùy
Pour le style délectable. Pour bouffer peu de mots mais pesés un à un. Parce que Kim Thùy la femme pudique, faisant maintenant partie de notre paysage médiatique, a cette générosité de soulever le voile enveloppant son cœur de femme.
Sa vie de femme mariée, de maman, d’amie et de cuisinière, par sa plume, sonne comme une poésie du quotidien. Son écriture est pesée et posée, ses silences laissent respirer les mots. Ce qu’elle nous livre est concentré et concis. Avec un style de cette teneur, on s’attendait à de la retenue et de la pudeur et, ô surprise, non. Man lève le voile sur l’intimité de Kim Thùy. - critique complète ici.

7. Le mouvement naturel des choses Éric Simard
Pour la performance. Présenter un journal aussi intime, aussi long, aussi quotidien, avec autant de naturel et d’intérêt, il faut soit, avoir du talent, soit être d’un naturel captivant, ou soit, être vrai. D’après moi, ce sont les trois.
Une personne qui se donne à son lecteur à ce point-là m’impressionne. Le principal intéressé dirait probablement qu’il a posé des filtres, mais comparativement au commun des mortels, si peu. Éric Simard se livre par heure, par jour, par mois, lesquels finissent par donner des années (1989 à 1997), à partir de journaux intimes tenus avec passion. Comment faire tenir huit années dans 400 pages, tout en conservant la forme journal ? On parle de travail de réécriture ici. D’un puissant recul qui pousse la lucidité dans ses derniers retranchements. De don pour donner et tenir un rythme. - critique complète ici.

8. Les portes closes de Lori Saint-Martin
Parce que les histoires de couple, c’est passionnant. On cherche toujours à trouver leur secret. Parce que cet auteur écrit avec maîtrise. Parce que cette histoire de couple n’est pas banale, étant tous deux des artistes peintre.
À tour de chapitre, Philippe et Catherine se confient au mode « je », comme à un journal. Le lecteur arpentera trente-cinq années de vie d’un couple partageant le même toit, le même travail, les mêmes enfants. La juxtaposition de ces deux visions dévoile, pelure par pelure, la vie d’un ménage qui a persisté malgré la proximité. Jusqu’où doit s’étendre le jardin secret de personnes vivant si près une de l’autre ? Ce roman aborde de près, et avec habileté, les limites de l’intimité dans un couple. - critique complète ici.

9. En terrain miné de Roxanne Bouchard et Patrick Kègle
Pour la paix entre les êtres humains, avant la paix entre les peuples. Pour cette démonstration claire que l’on peut discuter, chacun sur son continent, sans s’être vus, avec des valeurs opposées. Parce qu’un terrain miné peut devenir un terrain d’entente. Parce que j’adore les correspondances.
Une auteure chez elle et un soldat en mission en Afghanistan se répondent sans jamais essayer de se convaincre, ce qui soulage le lecteur de tout semblant d’obstination. Voilà pourquoi je traite d’art ce recueil de lettres, le mot « recueil » se prêtant à une réflexion sereine. Ce recueillement, que j’ai senti se dégager de part et d’autre en fait un lieu, pas de réaction, mais plutôt de réflexion. Roxanne Bouchard finira subtilement par développer, ou aller en dénicher en elle de la compassion, de la solidarité, de l’empathie. Tandis que Patrick Kègle, homme pacifique par excellence déploie sa patience et son habileté à exposer et expliquer sa position, en utilisant un langage désarmant de naturel.
- critique complète ici.

10. Pourquoi moi ? Ma vie chez les Juifs hassidiques
Comment ne pas s’interroger devant un être qui a désiré autant se cloîtrer dans une religion qui me semble hermétique, bizarre, incompréhensible pour l’être libre que je tiens à être. Pour mieux connaître cet être, mieux comprendre une religion qui m’apparait étouffante. J’en sais beaucoup plus mais je n’en sais pas encore assez. Pour l’insaisissabilité du sujet.
Le récit se présente sous le mode d’un incessant questionnement. Pourquoi cet attrait soudain pour la religion en général, et cette religion en particulier ? Nous en apprenons beaucoup en entrant dans ces maisons où d’innombrables rituels complexes régissent la vie des hassidiques. Peu de Québécois ont été admis aussi chaleureusement, car peu ont aimé aussi sincèrement cette religion. L’auteure touche aux relations homme et femme, les enfants, la cuisine, les fêtes, les coutumes. C’est à travers de sincères échanges humains, d’ailleurs plusieurs amitiés naissent ou meurent en cours de conversion, que sont dévoilés les sens sacrés. L’auteure distille les informations progressivement, nous avons le temps de les assimiler et mets en relief d’importantes dissensions entre les diverses communautés hassidiques. - critique complète ici.

samedi 4 janvier 2014

En terrain miné - Roxanne Bouchard et Patrick Kègle

Roxanne Bouchard, une auteure dont j’ai lu "Whisky et paraboles", Patrick Kègle, un parfait inconnu entrevu à Tout le monde en parle. C’est en voyant ce duo intriguant sous les projecteurs que mon goût de les lire s’est intensifié. Pas difficile vous me direz, j’aime la correspondance. Attention, ce n’est pas parce qu’on aime le chocolat qu’on en savoure tous les goûts !

Cette correspondance, je l’ai savourée, j’aurais même aimé qu’elle s’éternise, mais pas la guerre en Afghanistan ! Et c’est justement une correspondance temporelle ciblant deux missions entre 2004 et 2009 accomplies par le caporal Kègle.

Cette correspondance, d’abord timide et de plus en plus intime, démontre le besoin criant d’un soldat de se confier, de rester lié à son continent. De parler du danger qu'il court, du pays qu’il tente d’aider, de ses peurs, de ses impuissances. Bref, du sens de l’honneur et de l’horreur qui se livrent perpétuellement bataille en lui. Est-ce que Patrick Kègle aurait pu destiner ces lettres à sa conjointe, mère de ses enfants ? Certainement pas. Il veut la protéger, qu’elle ne paralyse pas à force de s'inquiéter, qu’elle garde au chaud l’espoir de le revoir vivant.

Roxanne Bouchard répond à merveille à ce soldat, avec la langue d’une écrivaine qui sait manier les mots justes, percutants, des mots qui fessent. Elle le fait avec métier, et j’irai jusqu’à dire, au nom d’une majorité de Québécois. L'antimilitarisme de l'ensemble des Québécois est connu mais ce n’est pas tous qui arriveraient à le défendre à la face même d’un soldat se dévoilant avec naturel et sincérité. Elle ne répond pas par des mots belliqueux, plutôt une réflexion sensée et nuancée, sans jamais un seul instant ménager l’homme armé jusqu’aux dents.

J’ai pris un certain temps avant de réaliser que ces « lettres » sont des courriels, ce qui accroit l’instantanéité de certaines réponses et les rend faciles à suivre.

Ils se répondent sans jamais essayer de se convaincre, ce qui soulage le lecteur de tout semblant d’obstination. Voilà pourquoi je traite d’art ce recueil de lettres, le mot « recueil » se prêtant à une réflexion sereine. Ce recueillement que j’ai senti se dégager de part et d’autre en fait un lieu, pas de réaction, mais plutôt de réflexion. Roxanne Bouchard finira subtilement par développer, ou aller en dénicher en elle, de la compassion, de la solidarité, de l’empathie. Tandis que Patrick Kègle, homme pacifique par excellence déploie sa patience et son habileté à exposer et à expliquer sa position, en utilisant un langage désarmant de naturel. 

Je vous le dis, et n’en doutez pas une seconde, si tout le monde communiquait comme ces deux-là sont arrivés à le faire, à partir de visions opposées, il n’y aurait pas une guerre qui se prolongerait au-delà de quelques heures !

La saveur de cette correspondance équivaudrait à un chocolat noir légèrement amer mais dont l’onctuosité enveloppe le palais, aucune envie de croquer, seulement le laisser fondre pour en retirer les subtiles parfums.

Si je sors de la métaphore : une correspondance où la banalité n’a aucune place, dans laquelle on ne ménage nullement son correspondant, s'y rajoute une trépidante exploration de la vie de soldat (quasiment de missionnaire!) sur un ton d’un naturel qui fait parfois frémir.