Faites comme chez vous

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c'est recevant !

mercredi 30 septembre 2015

Monstera deliciosa de Lynda Dion

J’ai de nouveau goûté à la prose intime de Lynda Dion. Cette fois, c’est « elle » qui parle de la séparation d’un couple, autrement dit, tout le récit se décline à la troisième personne. Un choix assumé jusqu’au bout et qui va très bien à cette auteure pour l’effet de condensation. Ce procédé exacerbe la menace d’explosion des émotions. On s’en tient loin, on n’y touche pas avec le « je », de peur de se laisser avaler. 

À quel moment un couple doit-il prendre la décision de vivre sous le même toit pour couper dans les dépenses ? Bien sûr, les jeunes couples aménagent rapidement, tellement que parfois, la relation reste ambigüe : sont-ils des amis qui se donnent du bon temps, sont-ils des colocs avec accommodements ou des amoureux avec projets à long terme ? En ce qui concerne les couples dans la cinquantaine, comme ici ; est-ce que la décision se prend aussi rapidement et facilement ?
Ce petit bouquin peut faire réfléchir à cette question. On y cerne très bien la vie en commun avec un partenaire que l’on connait peu mais qu’on dit « aimer ». C’est « elle » qui en parle et elle a su cerner le « il » au point où j’avais l’impression de l’avoir déjà rencontré … à moins que plusieurs hommes se comportent de cette façon à cet âge-là !

Vivre sous le même toit en amoureux implique de s’aimer beaucoup pour que l’entreprise réussisse, c’est une opinion que j’émets. Et ce récit viendrait corroborer cette opinion. Qui ne s’est pas déjà embarqué un peu vite ?  La souffrance occasionnée par le doute : est-ce moi, est-ce lui, a-t-on tout essayé, puis ensuite, l’enfer de continuer à vivre ensemble un certain temps pour des raisons financières.

L’auteure a beau prendre l’approche à la troisième personne, nous soufflons et souffrons en même temps qu’elle.

Cette autopsie d’une relation naissante qui n’a jamais grandi décrit également le nid du couple, le fameux bungalow avec son sous-sol assiégé par le « il ». Le salon lumineux à l'étage sert surtout pour la visite et comme serre pour des plantes florissantes. Monstera deliciosa est une plante au feuillage persistant. J’ai aimé la comparaison à un certain moment, j’aurais aimé la voir prendre de l’ampleur …. la comparaison, je veux dire ! L’image est forte de cette plante qui prend de plus en plus de place, empiète sur l’espace vital. Cette plante difficile à dompter.

Sinon, le gros reproche que l’on peut adresser à ce récit est sa brièveté. J’aurais aimé creuser encore plus profondément. Il faut s’attendre à rester sur sa faim.

vendredi 25 septembre 2015

Connaissez-vous David Goudreault ?

Je ne le connaissais pas. Ou à peine. Est-ce connaître quelqu’un que d’en entendre parler entre les branches : « C’est un slameur » « Il habite Sherbrooke » « Il est poète et parolier à ses heures » « Son premier roman "La bête à sa mère"* est dérangeant » et ... « Il se vend ! » * c'est La Recrue du mois !

C’est remarquable, un premier roman qui en est à sa quatrième impression, donc épuisé 3 fois ! On rit pu ! Ou plutôt, on rit à gorge déployée ! Je l’ai rencontré et il rit à gorge déployée mais pas nécessairement pour le succès financier du roman. Car ce succès-là, en chiffres, ça signifie tout au plus 10,000$ en poche. Tout n’est pas gagné et surtout pas la vie d’un jeune homme qui mord dans une vie moderne. Mais David Goudreault accepte les propositions connexes à son travail d’auteur et il fonce. À ce titre, il est aujourd'hui chroniqueur pour Ici Estrie Radio-Canada. Pour ce faire, il se promène continuellement avec un mini dictaphone et attrape toutes les idées qui risqueraient de s’enfuir, sinon.

J’en ai conclu après cette causerie de plus d’une heure qu’il est un être généreux. Et la générosité, c’est un boomerang, ça reviens. En autant qu'on ne le fasse pas pour ça. On pose des gestes parce qu’ils sont l'enchaînement naturel d’un autre geste et on n’attend surtout pas de résultat immédiat. On laisse à la graine du « temps » l'espace pour pousser dans la terre friable. C’est un être croyant, il l’a affirmé sans aucune gêne. Il ne sait pas exactement à qui ou à quoi il croit, mais il est fondamentalement certain qu’il y a un « plus » et que ce « plus » harmonise et compile les gestes gratuits et puis les fait fleurir. En tout cas, je l’ai compris comme ça. C’est matière à plusieurs interprétations quand on croit, même quand on ne sait pas à qui et à quoi ! J’ai aimé l’idée de croire au geste de croire en soi. Il me semble que c’est encore plus fort.
Cette rencontre a eu lieu à Magog le 12 septembre et j’y ai assistée, que dis-je, participé, au très convivial salon Chochoco*. L’homme s’est entretenu longuement et intimement devant une quinzaine de personnes. Sous l’invite tacite de Marion Transetti (Austin tout va bien), la responsable de cette rencontre, cette rencontre s’est rapidement transformée en causerie où chacun y allait spontanément de sa question ou de sa remarque. Elle a en effet accordé carte blanche à chacun, nous faisant remplir une feuillet avec des commentaires, conseils, questions. Chaque personne s’est mouillée, et remouillée car plusieurs – dont moi, ont posé d'innombrables questions. 

Ça fait deux semaines que j’y ai assisté (déjà !), je n’ai pris aucune note mais j’ai été assez frappé pour me souvenir de quelques réflexions. La liberté qu’il a trouvée dans le roman est précieuse pour le slameur qu'il est. Il a pu aller loin dans le comportement de son personnage principal justement parce qu’il ne parlait aucunement en son nom. Tandis qu’il a conscience de porter une certaine responsabilité de chacun de ses mots via la poésie et le Slam.
Une personne de l’assistance, qui semblait le connaître lui a demandé comment il se sentait depuis ce succès. Par la question, il y avait une manière de suggérer qu’en n'oeuvrant plus comme travailleur social, il y avait une part de sa responsabilité d’aidant éclipsée ; Comment le prenait-il ? C’est avec plaisir que j’ai entendu qu'il considère que grâce à sa tribune de romancier, il peux rejoindre encore plus de personnes. Il pousse un soupir de soulagement « Enfin ! ». Il est clair que cet homme est convaincu qu’il a à apporter un message ressemblant à un témoignage. Ce que j’ai remarqué et tout de suite aimé, il le fait à la manière d'un témoin, sans aucune prétention. J’ai senti la mission qui dépassait l’égo de l’homme. De toutes manières, si ce n’était pas le cas, le succès ne serait pas aussi marqué.

Vous savez que le deuxième (la suite du premier) est écrit ? Non ? Eh bien, je suis contente de répandre cette bonne nouvelle. Et même le troisième tome serait prévu. Sa créativité est effervescente. Quand on y pense, il jongle avec plusieurs paroles : celle du poète, du slameur, du parolier, du romancier.

Un point m’a frappé, c’est son rire et sourire quand il nous raconte les anecdotes horribles du roman ou celles tirées de son (ex) travail social. Ce sourire dénote la distance qu’il a avec son personnage, il en est assez détaché pour se permettre d'en jouer et d'en jouir. Pour jongler, il lance les balles et les rattrape avant qu’elles ne tombent et sourit à belles dents. De loin, sans l'avoir vu, je vous permets cette question : serait-il sadique ? Pas une miette ! C’est un joyeux, un heureux, un reconnaissant. Il ne cache pas qu’il en a bavé un coup dans sa jeune vie (il ne s’étend pas sur ce sujet probablement parce qu’il la transcendée), c’est clair qu’il a trouvé la voie pour s’en sortir et qu’avec sa voix particulière, il nous l’indique, avec ou sans musique.

Évidemment qu’un être qui a fait chanter les mots avant d’écrire son premier roman a des chances de les faire défiler enchanteurs. S’il y a une personne qui pouvait aborder de front un personnage aussi dur, aussi déroutant, aussi délinquant que son personnage (mozaille, que j’ai hâte qu’il lui donne un nom ! – au deuxième, dit-il), c’est lui, David Goudreault. Ne mettez surtout pas ce personnage entre les mains de n’importe qui!).

Bref, cet auteur ne se prend pas pour un autre, il se prend pour plusieurs autres ; des  personnages ancrés dans la matière lourdement humaine.

Café Bistro avec salon à multiples vocations
259 rue Principales Ouest - Magog

samedi 19 septembre 2015

Pas d'autres dieux de François Lepage

Normalement, je passe mes livres à tour de rôle, par ordre chronologique mais avec ma convalescence d’un gros « 3 semaines », je ne suis plus dans la normalité. Donc, je vais vous parler du roman dont j’ai fermé la couverture hier soir. Tout chaud dans mes neurones, je me dis qu’il sera plus facile à recenser.

Un roman que je n’ai pas réclamé mais que les Éditions Triptyque ont jugé qu’il me convenait. J’ai en effet été attirée par le titre « Pas d’autres dieux » ainsi que par le parcours atypique de l’auteur avec son Bac en physique à l’Université de Montréal et son doctorat en logique de l’Université de Paris. En plus, il est prof de philo !

C’est l’histoire de frères jumeaux, Antoine et Lucas. Le premier est autiste, le deuxième, dit « normal », a choisi d’étudier l’économie. De ces frères absolument différents, l’auteur fera ressortir un point commun : leur amour des mathématiques. Par contre, leur but respectif pour approfondir cette matière est diamétralement opposé. Lucas aime manier habilement les chiffres afin que le cours de la Bourse joue en sa faveur et vienne en faire un homme riche et surtout réputé pour sa perspicacité. On comprend par là qu’il pêche par orgueil. Tandis qu'Antoine est complètement indifférent aux biens matériels tels qu’ils soient, de même que sa propre réputation le laisse indifférent. Tellement que sous l’invitation du père Augustin, Antoine consent à résider dans une abbaye où la vie austère s’avère lui aller à ravir. De toutes manières, comment savoir s’il y est heureux, étant donné qu’il projette constamment un air neutre, assez souvent pris pour de l’indifférence.

Mais là n’est pas question que pose ce roman qui en est plutôt une d’ordre moral ; jusqu’où peut-on mener une recherche sur la Bourse en exploitant les talents de génie d’un autiste ? Lucas se laissera progressivement entrainé sur cette pente par un ami impressionné par la capacité surhumaine d’Antoine de prédire l’imprévu, à commencer par la météo et en se terminant par le cours de la Bourse.

J’en suis venu à supposer que cette question morale aurait pu susciter mon intérêt si les personnages avaient été plus ancrés. Par exemple, Lucas qui vit dans une société de consommation ne consomme pour ainsi dire rien, pourtant il a un appétit pour la matérialité puisqu’il veut réussir comme courtier à la Bourse. Autre point qui n’arrange rien, il est précisé qu’il n’a aucune pulsion sexuelle. On le voit donc fréquenter une seule personne, un ami qui ne l'est pas tant que ça. Voyez ce que je veux dire, à un moment donné, les frères perdent leur mère suite à un cancer, ce qui ne va pas du tout chercher leurs émotions, ni à l’un ni à l’autre. Cela rend ces frères assez désincarnés. Cela ne donne pas beaucoup de jus romanesque, si je peux m’exprimer ainsi.

J’essaie de cerner avec justesse ce qui a fait que je me suis ennuyée à cette lecture et que les explications me sont apparues fastidieuses comme si je lisais un essai, plus qu’un roman. L’ami cupide est certes plus incarné mais aucune perche n’est lancée par l’auteur pour qu’on s’attache à ce personnage présenté comme un être fourbe et sans morale.

Bien sûr, mon intérêt a tenu le coup à cause du mystère entourant Antoine. Comment se vit l’autisme chez un adulte et, surtout, est-il possible de voir apparaitre une émotion chez ces individus ? Antoine fait office de victime naïve puisqu’il est manipulé par son frère et l’ami mais heureusement, il est protégé par les religieux de l’abbaye (qui sont tout de même plus mercantiles que lui !) et peut-être est-il plus protégé par lui-même qu’on ne le suppose à prime abord.

J’imagine que ce roman pourra plaire à certains, j’espère que vous saurez voir à travers mon opinion s’il est pour vous, mais tant qu’à moi, j’ai été déçue de cette lecture pour laquelle j’avais des attentes de matière à réflexion plus approfondie. 

mercredi 16 septembre 2015

La chaleur avant midi de Mylène Durand

On entre dans cette histoire comme dans une bulle chaude et un peu étouffante. J’ai instantanément senti la lourdeur sur ma peau de lectrice. Il est tout à fait normal qu’il fasse chaud, nous sommes au Costa Rica où l’on retrouve Clarissa, une Québécoise oeuvrant comme femme de chambre dans un hôtel achalandé. Elle n’est pas une femme de chambre ordinaire, elle possède des parts dans l’hôtel. De ce lieu de transit pour touristes, elle a fait son home. Elle y séjourne depuis son départ du Québec, voici quelques années. Si on la sent si familière avec la forêt tropicale, la mer, les autres propriétaires de la station balnéaire, c’est qu’elle voue une tendre affection pour son environnement et pour son genre de vie. Elle s’y est même fait un amoureux, le guide et moniteur de planches.

L’arrivée d’une jeune femme Québécoise, Éloïse, va venir bouleverser le semblant d’équilibre que Clarissa s’était forgée autour d’elle et en elle. Éloïse est atteinte d’une maladie sournoise et Clarissa est aimantée par cette femme silencieuse qui est alitée. Elle ressent le besoin irrépressible d’en prendre soin, de mieux la connaître. De l’identifier. Elle la confond avec ses souvenirs en provenance du Québec et la culpabilité vient entrelacer leurs liens.

La vie dans cette station balnéaire est décrite avec tant de réalisme que l’on sent continuellement sur nos épaules le poids de la chaleur. J’ai aimé découvrir la forêt tropicale, l’explorer, en entendre les sons, les cris, les craquements inquiétants. J’ai aimé habiter ce lieu. Il est intéressant de vivre le contraste entre le monde insouciant des visiteurs, que je vois comme une scène, et en coulisses, la ronde routinière des employés qui exécutent leur rôle.

Plus on avance, plus Mylène Durand creuse les relations entre les personnages, les points d’interrogation surgissent, se densifient. Le mystère empreint de mysticisme épaissit l’air, pourtant déjà lourd. Les relations entre les divers personnages s’intensifient : entre les deux jeunes femmes, entre Clarissa et son amoureux, entre Clarissa et un des enfants des propriétaires, s’ajoute une vieille femme qui lance des imprécations. Des intrigues amoureuses viendront mêler les fils de l’intrigue et le lecteur tentera de se frayer un sentier dans cette forêt enchevêtrée de branches, pour y voir plus clair. Au centre du lieu, un volcan règne et pour se donner des frissons, les touristes viennent voir le brassage de son cœur bouillant.

J’ai pris un grand plaisir à baigner dans ce roman d’ambiance opaque au style subtilement suggestif. Il est rare que soit mise de l’avant à ce point une ambiance, suffisamment pour que les intrigues nous paraissent naturellement mystérieuses. Nous avançons dans un banc de brouillard.

Un roman à lire, et pourquoi pas en plein hiver pour se réchauffer la couenne (!), pour l’ambiance et les relations entre les personnages, pour le style enveloppant et le lieu si bien planté.