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vendredi 22 avril 2016

La fiancée du facteur de Denis Thériault

Tout chaud sorti des presses, ce roman a été inventé, imaginé, fabulé par monsieur Denis Thériault. Avant tout, cette question que je désire vous poser depuis longtemps : le connaissez-vous ? À part de vous douter que c’est un de mes auteurs préférés ; savez-vous qu’il a été publié dans 18 pays et en 11 langues ? Je vous en bouche un coin, n’est-ce pas ! La fiancée du facteur est son quatrième roman et il se veut une prolongation de l’ambiance et des personnages de son deuxième roman : Le facteur émotif (Entre les deux, il y a eu La fille qui n’existait pas que j’ai adoré).

Le personnage du facteur est toujours aussi central dans cette histoire, et donc on y retrouve de la calligraphie, de la correspondance, des haïkus, et rajoutons l’ingrédient qui lie le tout : l’amour entre un homme et deux femmes.

Un nouveau personnage fait son apparition, Tania, d’origine Bavaroise, qui se dépose à Montréal pour ses études, desquelles on n’entendra pas parler, trop occupée qu’elle est à son emploi de serveuse au Madelinot. C’est entre une portion de tarte servie au facteur Bilodo et des échanges timides sur la calligraphie et les haïkus que Tania attrapera son sérieux béguin pour ce facteur. Lui, se présente toujours penché, soit au-dessus de son assiette, soit au-dessus d’une feuille de papier.

Leur histoire s’amorce par un quiproquo qui sera fièrement récupéré par la jeune serveuse qui est prête à tout pour conquérir « son » facteur. Elle a décidé qu’il était l’homme de sa vie, ce qui entraine à ses yeux qu’il devra, tôt ou tard, la considérer comme la femme de sa vie. L’audace, l’esprit d’entreprise et la flamme d’idéalisation suffiront-t-ils à ce qu’il devienne sien ? Cette serveuse de 23 ans aura les éléments naturels de son bord ; un orage fera basculer, en même temps que ses trombes d’eau, le destin.

Cela peut parait assez énigmatique, eh bien, ce l’est, mais attention pas hermétique pour un sou.
La volonté de cette Tania est passionnante à voir se décliner par des actions téméraires, l’appropriation de ce Bilodo devenant son plan de vie. Et je vous assure qu’elle a plusieurs astuces à son arc. Et puis, le cher Bilodo est tout un numéro, il ne donne pas lui non plus son pareil pour sublimer l’être aimé avec qui il entretient une correspondance. La rivale de Tania n’est pas visible dans le quotidien de l’auteur de haïkus, ce qui lui accorde un avantage considérable. Vous imaginez bien que la partie ne se gagne pas facilement quand on se bat contre un amour qui ne se confronte jamais à la réalité. On parle ici quasiment d’un amour fétiche. 

Par la bande, Denis Thériault se trouve à aborder la question de l’identité préservé, ou non, lorsque l'on se voit envahi de la flamme amoureuse. Être amoureux implique-t-il de connaître une personne ? Pas nécessairement. Et si on ne connaît pas vraiment une personne, qui aime-t-on alors ? Peut-on se forger un être aimé ? Et si oui, nous gardons le contrôle de la situation quant en fait, l’amour n’est-il pas des pages blanches que l’on remplit à deux ? Dans cette histoire, attendez-vous à vous faire jouer des tours par le destin taquin.

La fiancée du facteur est une formidable démonstration de l’apprivoisement, qui va dans tous les sens et prend tout son sens. Ce roman est tout cela et plus encore, car il est abondamment et régulièrement assaisonné de ces petits poèmes aux trois petits tours et puis s’en vont que l’on nomme des haïkus :

Tourbillonnant comme l’eau
contre le rocher
le temps fait des boucles

samedi 9 avril 2016

L'interrogatoire de Salim Belfakir d'Alain Beaulieu

Alain Beaulieu a écrit une dizaine de romans et je ne l’avais pas encore lu. Il était temps. Un auteur solide, à mon avis. Immédiatement, je me suis sentie entre bonnes mains, l’histoire avait beau s’en aller dans diverses directions, il tenait les brides serrées.

Salim Belfakir est un jeune très bien que l’on apprend à connaître après sa mort. Toute l’histoire conduit à ce fameux interrogatoire qui devient le fin mot de l’histoire. Quand je le qualifie de « très bien », c’est qu’on lui retrouve à peu près que des qualités. Il est un fils aidant et reconnaissant à sa mère qui l’a élevé seule, il est un demi-frère exemplaire, un amoureux prévenant, un ami loyal (peut-être trop).

J’ai eu du plaisir à le suivre dans les dernières semaines de sa vie, car celle-ci reste pleine de surprises. Par exemple, il doit partir de Saint-Malo et aller rejoindre sa famille dans son pays d’origine, le Maroc. Son père, dont il apprend l’existence, vient de décéder.

Par contre, ce n’est pas avec lui que la lectrice a passé le plus de temps, c’est plutôt avec un policier qui prend une retraite forcée, lui aussi, un malouin. Il part pour le Québec, se réfugier à Cap-Santé dans une maison louée sur le bord du fleuve. De très occupé que l’on pouvait l’imaginer, l’ancien inspecteur est maintenant complètement oisif, ayant 24 heures sur 24 pour occuper son esprit et son corps. Il est encore jeune (dans la cinquantaine), en santé, il ne connaît personne au Québec. Que fait-on alors ? Renouer avec sa fille ? Entre autres. J'ai assisté avec curiosité à cette prise de possession de sa vie.

Il y également Éliane Cohen qui se penche sur cette histoire de mort suspecte du jeune Salim. Elle s’attache à cette histoire, convaincue qu’il y dort, depuis un an, une injustice. Une jeune femme assez particulière, plutôt ésotérique, mais qui sait fouiller un cas, en ayant l’air de rien. 

Grosso modo, c’est le trio dont, bien entendu, le lien est Salim. Se grefferont quelques personnages secondaires assez fanfarons, tellement secondaires qu’ils pourraient ne pas y être. Je les ai vues comme de la couleur accentuée répandue dans le décor. Du paysage humain.

Tout ça mis ensemble, je ne me suis pas ennuyé une seconde. J’ai été rarement ébloui par le style, mais toujours, je me suis avancé dans ces clair-obscur sans m’enfarger.

Tout est mis en œuvre dans ce roman pour envoyer un message fort, très fort sur la tromperie des apparences, et particulièrement le lot de préjugés charriés sur les immigrés ou ceux qui ont l’air de l’être. Ceux et celles qui n’ont pas l’apparence propre du pays qu’ils habitent.

À mon avis, l’auteur voulait tellement le démontrer qu’il a créé un personnage presque parfait en Salim Belfakir. Je n’aime habituellement pas les personnages parfaits mais vu qu’il est mort, je l’ai accepté. On pardonne tous les défauts aux morts, vous l’avez remarqué, n’est-ce pas ? Alors pourquoi, me suis-je dit, ne pas aussi pardonner leur perfection ? (clin d’œil).

Roman qui fourmille de personnages hétéroclites mais une histoire assise sur un trio solide qui démonte les derniers moments de la vie d’un jeune homme presque parfait. 

mardi 5 avril 2016

Hangar No 7 de Paul Mainville

Paul Mainville ? Connais pas. Hangar no 7 ? Titre peu attirant. Mais ce livre est entre mes mains, et je ne sais pas pourquoi, je suis poussé à l’ouvrir. Ça parle de cirque. Je n’aime pas particulièrement le monde du cirque mais ce livre demeure dans ma main. Il insiste.

J’apprends sur le quatrième de couverture, qu’au départ il se destinait à se présenter en un long-métrage et, puis, l’histoire s’est couchée sur des feuilles. Je ne sais pas pourquoi, il a abouti en livre, et cela aurait été dommage que ce soit seulement un film, nous aurions manqué une bonne lecture. Il m’a tenu en haleine et j’ai souffert en même temps que ses personnages auxquels j’ai beaucoup cru.

L’histoire se présente sous forme d’entrevue, la journaliste se faisant tout d’abord discrète par ses questions à Albert. Elle veut entendre parler ce directeur de la troupe Cirque des montagnes bleues qui, malgré ses 65 ans, a monté un spectacle dans sa ville, en l’honneur des survivants de cette troupe décimée.

Cet Albert raconte bien. Il plonge dans ses souvenirs qui se déroulent sous nos yeux, comme un film justement. Je les ai tous vus, chacun des membres de cette troupe a existé. Et intensément existé. Faut dire qu’assez rapidement, ils sont placés dans une situation de crise aigüe. C’est la guerre et ils sont capturés et amenés dans un camp. On pense tout de suite aux camps de concentration nazis. Les conditions sont aussi mauvaises, le dédain aussi fort, l’autorité aussi cruelle, écartant les femmes et les enfants des hommes, les faisant geler avec le strict minimum de nourriture et d’hygiène.

Mais la troupe sera traitée différemment des autres prisonniers. Est-ce vraiment une chance ? La question se pose. Les membres de cette troupe tissée serrée doivent divertir leurs supérieurs, pour ne pas dire leurs tyrans, en leur préparant, avec des moyens minimalistes, d’excellents spectacles. Sinon, gare aux sévices, les haut-gradés seront sans pitié.

Albert a été le directeur de cette troupe, accompagnée de sa femme qui porte un enfant dans ces conditions inhumaines. Bien entendu, nous savons qu’il y a eu survivance puisque l’histoire nous est racontée, mais le « comment » est semé de rebondissements inattendus. Il m’est arrivé de retenir mon souffle, tellement j’avais peur pour eux. Chaque personnage est crédible et l'on s’y attache solidement.

Curieusement, j’ai mieux saisi les personnages entourant Albert, que lui-même. Celui-ci reste plus hermétique, un peu dans l’ombre de son humilité. Il y a une grosse surprise à la fin. C’est plaisant les surprises, même celles que l’on sent venir.

J’ai nettement préféré le premier deux-tiers du roman, plus intense, les gestes posés pour la survie sont si exacerbés que lorsque l’on retourne à du quotidien, on perd de cette dose d’adrénaline de lecteur. Ça fait un fort contraste, disons.

Mais dans l’ensemble, mon cœur a assez palpité pour le recommander chaudement. Imaginez les amateurs de troupe de cirque maintenant ! Ils vont certainement en raffoler.